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Le rôle de l’Etat dans la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes

 

“Uwukize akira iwabo”, “Uwukize akira isuka” et d’autres… La langue burundaise est riche de maximes qui se transmettent de génération en génération et qui favorisent l’augmentation du chômage et la stagnation de l’économie.La Banque mondiale estime que l’économie mondiale requiert 600 millions de nouveaux emplois sur les dix années à venir rien que pour maintenir à un niveau constant les taux d’emploi, tandis que l’Organisation internationale du travail (OIT) relève que près de 36 % des chômeurs du monde – soit presque 73,3 millions de personnes – sont des jeunes, ce chiffre triple si l’on compte les jeunes sous-employés (OIT, 2015). En outre, plus de 169 millions de jeunes gagnent moins de 2 US$ par jour, représentant plus du tiers des travailleurs pauvres dans les pays en développement.

On estime que, chaque année, environ 121 millions de jeunes atteignent l’âge de 16 ans − dont 89 % vivent dans des régions en développement − et peuvent entrer sur le marché mondial du travail (Fonds des Nations Unies pour l’enfance, 2012). Selon le dernier rapport du Bureau international du Travail (BIT, 2013), il existe actuellement une crise de l’emploi des jeunes, dont les possibles effets négatifs à long terme pourraient se faire sentir pendant plusieurs décennies.

Au Burundi,  les dernières données sur l’emploi des jeunes – collectées en 2016 par deux ONGs locales Adisco et Reja en partenariat avec Cordaid- indiquent des forts taux de chômage parmi les jeunes (âgés de 15 à 35 ans) de l’ordre de 65% dans la capitale Bujumbura et de 55% dans les zones rurales. Toujours selon ce rapport sur l’emploi des jeunes, le chômage chez les jeunes est trois fois plus élevé que chez les personnes âgées de 35ans et plus 1.

Dans ce contexte, l’entrepreneuriat des jeunes peut jouer un rôle important pour faciliter le développement économique et la création d’emplois. Si les jeunes se mettent souvent à leur compte parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi ailleurs, l’entrepreneuriat peut leur insuffler des compétences précieuses telles que les capacités de réflexion critique, de prise de décision, de commandement, de travail d’équipe et d’innovation, qui toutes restent pertinentes tout au long de leur vie. En général, ils acquièrent de l’expertise dans des domaines qui sont absents de l’enseignement traditionnel, et construisent des carrières toutes particulières dont l’écho dépasse le modèle économique typique en recourant aux talents de leurs homologues et en favorisant le développement de leur communauté.

Il est impératif que les pouvoirs publics, praticiens et décideurs concentrent davantage leur attention sur les problèmes auxquels se heurtent les jeunes qui lancent et développent une entreprise, et qu’en même temps ils encouragent des programmes et politiques susceptibles de libérer le potentiel des jeunes entrepreneurs.

Les difficultés

Les jeunes qui se lancent dans l’entrepreneuriat se heurtent à un grand nombre de difficultés et de contraintes dont la prise en charge par les pouvoirs publics contribuerait à l’amélioration et la facilitation de ce processus.

D’ abord les jeunes entreprises subissent une multitude de contraintes administratives entre autres les démarches auprès de l’administration fiscale, obtention d’approbations d’investissement et de patentes, respect des règles en matière de droit d’auteur et de brevet, obtention de locaux, formalités de dédouanement, etc. Un système fiscal défavorable ou compliqué peut tuer une jeune entreprise dès sa phase de démarrage ou dans ses premières années d’activité, qui sont très délicates. A cela s’ajoute l’absence de mécanismes de soutien permettant d’opérer une transition en douceur de l’école à la création d’une entreprise.

Cette complexité est souvent imputable à la bureaucratie excessive, à la corruption, au manque de transparence ou de responsabilisation et au favoritisme.

Le deuxième problème pas moins important est lié à la formation des jeunes. En général l’école n’inculque pas suffisamment aux élèves la notion d’entrepreneuriat et ne leur suggère pas l’activité indépendante comme une possibilité de carrière. La situation est d’autant sérieuse que les outils, les ressources et les documents d’information propres à développer l’esprit d’entreprise chez les jeunes ne sont pas faciles à trouver, tandis que les rencontres avec de véritables entrepreneurs et les possibilités d’accompagnement sont presque inexistantes surtout dans les zones semi-urbaines et rurales.
La formation à l’école devrait être de manière à pouvoir transmettre aux jeunes les compétences non cognitives dont l’entrepreneur a besoin pour créer une entreprise prospère, tels l’ingéniosité, la créativité, la flexibilité, la détermination, l’aptitude à la pensée critique, l’esprit de décision et d’initiative, la concentration.

L’autre difficulté que d’ailleurs la plupart des jeunes considère être le chef de file des difficultés est le manque de fonds de démarrage. Faute de fonds propres, d’antécédents en tant qu’emprunteur, de sûreté ou de garanties suffisantes pour obtenir des prêts ou des lignes de crédit, les entreprises créées par des jeunes sont souvent considérées comme des investissements particulièrement risqués, d’où la difficulté d’obtenir un financement. Les autres sources de fonds seraient l’épargne/les actifs personnels, les salaires passés ou l’argent prêté ou donné par des amis et des membres de la famille, qui malheureusement sont peu probables au Burundi.

La difficulté voire l’impossibilité d’échange de technologies et l’innovation parmi les jeunes reste un problème majeur. Cela est dû non seulement au manque d’accès par les jeunes à des locaux et à des équipements fondés sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) de prix abordable et bien situés mais aussi au manque de connaissances qui y sont liées.

Dans notre pays, être entrepreneur n’est pas considéré comme un emploi durable ou comme un outil de développement, peu de jeunes voient dans la microentreprise une solution de remplacement viable à un emploi dans le secteur formel, ce qui est aussi un problème à ne pas négliger d’autant que les perceptions sociales et la perception de la légitimité de l’entrepreneuriat sont des facteurs importants qui favorisent ou, au contraire, freinent la volonté d’entreprendre.

Que peut faire l’Etat pour résoudre ces problèmes ?

Malgré les problèmes ci-haut cités qui peuvent faire croire que c’est un combat déjà perdu, le problème d’entrepreneuriat est toujours résoluble avec la participation de toutes les structures concernées et le gouvernement du Burundi a déjà entrepris pas mal d’initiatives visant à impulser l’esprit entrepreneurial chez les jeunes bien que le chantier reste énorme.

La Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement dans sa note parue en février, l’an 2014 propose un cadre directeur pour l’entrepreneuriat qui propose des solutions aux différents problèmes évoqués.

L’élaboration d’une stratégie nationale de l’entrepreneuriat qui détermine l’interaction de tous les acteurs de l’écosystème entrepreneurial, à savoir pouvoirs publics, organisations internationales, organisations non gouvernementales (ONG), écoles, universités, organismes du secteur public-privé, investisseurs, établissements financiers, entreprises nouvelles et déjà établies, sociétés transnationales et laboratoires de recherche, en accord avec le plan national de développement , est indispensable. Ainsi le Burundi s’étant déjà doté du plan national de développement 2018-2027, cette stratégie requiert une priorisation pour permettre l’avancement synchrone de l’application du PND avec la promotion de l’entrepreneuriat des jeunes. Il est aussi important de stimuler les fonctionnaires ou travailleurs percevant de très bons salaires à démarrer des activités  génératrices de revenus et créatrices d’emploi auxquelles jeunes pourraient profiter.

En outre une optimisation du cadre réglementaire en faveur des jeunes devrait être fait afin de limiter les contraintes administratives qui imputent au succès des nouvelles entreprises. Dans cette perspective, une adaptation de la réglementation et des normes en matière d’entrepreneuriat, un accompagnement des jeunes pendant la phase administrative du démarrage de l’entreprise ainsi qu’une mise en place de mécanismes de traitement accéléré pour faciliter la création d’entreprises sont d’importance capitale.

La mise en place du fonds d’impulsion et de garantie de 3 milliards aux jeunes regroupés en coopératives et d’une banque et la création d’une banque d’investissement pour les jeunes comme l’a déjà annoncé son excellence le président de la République sont des initiatives louables. Une fois effective ils joueront un rôle important dans la promotion du développement de la jeunesse.

L’éducation à l’entrepreneuriat et la mise en valeur des compétences entrepreneuriales des jeunes devraient être renforcés.

En plus des connaissances acquises dans le cours d’entrepreneuriat récemment introduit au programme de l’école fondamentale et poste-fondamentale, il faudrait déterminer les besoins des jeunes et concevoir des programmes d’apprentissage adaptés, y compris des formations extrascolaires, prenant en compte la dimension comportementale de l’activité indépendante et de l’entrepreneuriat et les questions de développement de compétences qui s’y rapportent; aligner les programmes de développement entrepreneurial avec le programme national d’éducation et réaliser des programmes de formation spécialement destinés aux animateurs, aux formateurs ayant travaillé en entreprise et aux enseignants sur la manière de développer l’esprit d’entreprise chez les jeunes; aborder l’entrepreneuriat dès un très jeune âge pour que l’activité indépendante soit très tôt considérée comme un projet de carrière viable.

En coordination avec des établissements d’enseignement supérieur, l’Etat devrait créer des programmes de tutorat associant des entrepreneurs expérimentés, et encourager la formation de réseaux avec des chefs d’entreprise et les programmes d’échange universitaire avec des instituts de premier plan.

Sans doute l’une des principales solutions reste l’amélioration de l’accès des jeunes aux financement par la simplification des mécanismes de sélection pour l’octroi de prêts sans caution afin d’améliorer l’accès des jeunes entrepreneurs aux services financiers dont ils ont besoin; la promotion de l’accès du secteur public-privé au financement de partenariats visant à renforcer les capacités du secteur financier dans le domaine de l’aide aux jeunes entreprises; l’accord des subventions et de l’assistance technique en vue de renforcer les capacités et de développer les activités de prêt ainsi qu’ une formation financière aux jeunes entrepreneurs pour les responsabiliser au prêt et à l’emprunt.

L’Etat devrait en outre faciliter l’échange de technologies et l’innovation parmi les jeunes par le lancement des campagnes de sensibilisation et de renforcement des capacités concernant l’utilisation des TIC pour contribuer à une plus large diffusion des TIC auprès du secteur privé. Enfin des campagnes de sensibilisation pour souligner l’intérêt que présente l’entrepreneuriat pour la société et remédier aux préjugés culturels ainsi que la valorisation publique de l’entrepreneuriat lors de rencontres avec les citoyens et la diffusion de l’information sur les cas de réussite ainsi que  la mise en places des associations professionnelles, des plates-formes d’échange, des portails et des clubs professionnels de jeunes entrepreneurs devraient faciliter la création des réseaux parmi les jeunes entrepreneurs.

Le Burundi, comme la plupart des pays en développement, caractérisé par une croissance vertigineuse de sa population, fait face à une situation sans précédent entre la demande et l’offre d’emploi : une grande tranche de jeunes diplômés tout comme ceux ayant un faible niveau de scolarisation sont confrontés au chômage. Ainsi donc, comme le Burundi regorge des secteurs porteurs de croissance et à fortes potentialités, la promotion de l’entrepreneuriat serait une alternative, occupant les jeunes ne pouvant pas être engagés par le secteur formel.

L’article est basé sur les échanges entre les membres de la section Russie et les idées des experts exprimées dans la note de la CNUDEC , publiée en février 2014 que l’on peut trouver ici.

Les opinions exprimées dans ce contenu n’engagent que la responsabilité de son auteur.

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